TEXTES:
1ère Lecture : Genèse 12, 1 – 4a
Graduel : Psaume 32
2ème Lecture : 2 Timothée 1, 8b – 10
Evangile : Matthieu 17, 1 – 9

L’homélie du Père Etienne, CSSp
HOMÉLIE:
« Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai. » Ces paroles du Seigneur à Abraham sont au cœur du message de ce dimanche, où le Seigneur nous invite à un déplacement, à un mouvement. Elles correspondent assez bien à ce temps de carême qui est essentiellement pour nous comme un déplacement, une marche de quarante jours commencée depuis le mercredi des cendres.
Les textes de la liturgie nous donnent des exemples de personnes qui ont accepté quitter, qui ont osé se mettre en route.
🔹 Nous avons d’abord Abraham. Il avait une parenté, une maison, des biens, un pays, bref tout ce qui faisait la richesse et le bonheur d’une personne à l’époque, tout ce qui faisait qu’on pouvait enfin s’arrêter de courir pour s’installer paisiblement. Quelle raison objective avait-il de quitter tout cela ? Visiblement aucune. En revanche, il avait de bonnes raisons de ne pas s’exposer à l’incertitude en quittant, en abandonnant ce qui était peut-être pour lui le fruit d’un travail acharné et des combats de toute une vie. Et en plus, il était parvenu à un âge où on a déjà tout vu… Et pourtant, nous dit le livre de la Genèse, « Abraham s’en alla, comme le Seigneur le lui avait dit… »
🔹 Nous avons ensuite Moïse. Après une naissance dans des conditions difficiles, il avait finalement été adopté par la fille de pharaon et bénéficiait par conséquent de tous les avantages qu’on pouvait avoir dans la cour de pharaon. Quelle raison objective avait-il de quitter tout cela ? Visiblement aucune. Sauf qu’à la vue des souffrances que les égyptiens faisaient subir à son peuple, il décida de s’exposer en quittant tout pour se mettre au service de ce peuple meurtri et exploité.
🔹 Et puis il y a Elie, le prophète. Pour défendre l’honneur de Dieu, il va mettre sa vie en péril en s’opposant au roi Achab et à sa redoutable épouse, Jézabel. En effet, ils s’étaient pervertis en adoptant un culte païen, celui de Baal. Il va aussi s’opposer violemment à eux pour l’honneur des pauvres, à cause leur abus de pouvoir. En effet ils avaient fait mettre à mort un pauvre, Naboth, tout simplement parce que ce dernier avait refusé, même au prix de l’argent, de sacrifier une vigne, qui était l’héritage de ses pères.
🔹 Et que dire de Jésus, Fils de Dieu qui, pour sauver les hommes de la mort, a accepté quitter son confort céleste, se faire humilier et même tuer comme un voleur ?
Mais dans l’évangile, nous avons un contre-exemple, l’exemple de Pierre qui, dans le confort et la sécurité de ce sommet dans lequel Jésus les a conduits, demande au contraire à s’installer. Le réflexe de celui qui est arrivé, qui a atteint ses objectifs, qui se sent en sécurité, c’est très souvent de s’installer : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser trois tentes… » Mais la réaction de Jésus nous dit que le Seigneur ne souhaite pas que celui qui est arrivé, celui qui est en sécurité, celui qui est heureux, s’installe.
C’est vrai qu’il est facile de chercher à quitter son pays, son village, sa situation quand on est dans l’inconfort, dans l’insécurité, dans la pauvreté, quand on pense qu’on peut avoir mieux, qu’on peut être mieux. Partout dans le monde, des hommes, femmes et jeunes se lèvent tous les jours pour changer leur quotidien, pour avoir comme Abraham une maison, des biens, une parenté, pour atteindre comme Pierre et ses amis, le sommet. Cela se fait par la prise de conscience, de l’ambition, du courage, de la persévérance, le travail acharné… En donnant à manger à ceux qui avaient faim, en guérissant les malades, Jésus nous montre que ces combats sont des combats nobles et qu’un chrétien doit être consciencieux, ambitieux, courageux, travailleur…
En revanche, il est fort difficile d’accepter de quitter lorsque que comme Pierre, on a atteint le sommet, lorsque comme Abraham, on nage au milieu de son confort… Il est difficile de quitter les fonctions de pouvoir politique, économique… On vit plutôt dans la peur de quitter ces lieux de sécurité, de confort… Et pourtant, comme Abraham, comme Moïse, comme Elie, et même Jésus, nous sommes invités à quitter. Quitte ton pays, quitte ton confort, quitte ta tranquillité…
L’élégance de savoir quitter fait partie du savoir-vivre chrétien. La grandeur d’âme, la noblesse chrétiennes résident dans notre capacité à accepter de quitter, de nous sacrifier pour l’autre. Il y a une certaine petitesse en celui ou celle qui ne se lève que pour sauver sa peau, alors qu’on retrouve une grandeur certaine en celui ou celle qui a le courage de sauver la peau des autres. Il faut en effet être assez grand pour arriver à penser aux autres quand on est déjà soi-même à l’abri. C’est cette grandeur que l’on retrouve chez Abraham, chez Moïse, Elie, Jésus. Et c’est souvent cette grandeur qui nous manque le plus.
Combien de fois ai-je fait de mes actions des actions pour le service des autres ? C’est quoi partager ? N’est-ce pas accepter de quitter telle ou telle chose au profit de mon prochain ? En effet, celui qui partage quitte, alors que celui qui refuse de partager s’installe.
Quitte ton pays de misère et de souffrance par ton travail, ta persévérance ; quitte ton pays où coulent le lait et le miel, et lutte pour que les autres vivent le même bonheur par la compassion, le partage ; quitte le pays de ton orgueil, de ta suffisance, de ton mépris, de ta condescendance, de ton égoïsme, de ton indifférence, pour le pays de la vertu, de la solidarité, de la compassion, de l’humilité… Que ce temps de carême soit pour chacun et chacune de nous un temps de mise en route pour notre bonheur, celui de nos frères et sœurs et pour la gloire de Dieu.
🛐 Père Étienne NEMI, CSSp 🛐

« Restaurant Divin » du Père Guy Marcel, CSSp. (Audio)